A la découverte des Scilly Islands - Par Gérard Bourgeois
Des galères et du bonheur !
Depuis des années, je fais ce rêve étrange et pénétrant d’un archipel réchauffé par le Gulf Stream à l’extrême sud-ouest de la Cornouaille britannique : les îles Scilly dont la fameuse Tresco avec son jardin tropical. Enfin, le jour J tant attendu arrive…
Pour faciliter la remontée depuis Arzal-Camoël (Morbihan) où est basé notre Themis, un Centurion 36, nous avons décidé de rythmer notre voyage en deux étapes. La première d’Arzal à Brest, et la seconde de Brest à Saint Mary, l’île capitale des Scilly. Le 24 juillet 2010, je quitte donc le ponton de Camoël avec deux amis expérimentés, Bernard et Robert, en nous donnant quelques jours pour arriver au port du Moulin Blanc à Brest où arrivera jeudi soir l’équipage de relève : ma femme, Sylvie, sa cousine Caroline et un ami, Dominique.
Arzal/Brest : une remontée éclair
Passage de l’écluse d’Arzal samedi en fin de journée après un ravitaillement au Carrefour Market de Penestin, puis amarrage pour la nuit dans la Vilaine devant le charmant petit port mytiliculteur de Tréhiguier. Pas de chance, un nord-ouest 3 à 4 est annoncé pour les jours suivants. Il va nous falloir tirer des bords jusqu’au raz de Sein… Dimanche, en fin d’après-midi, nous réussissons à atteindre Le Palais, à Belle Ile, où nous mouillons sur bouée devant la pointe de la Ramonette. C’est parti ! Le soleil brille au moins quelques heures par jour et le vent tient ses promesses.
Seconde nuit à Saint-Nicolas-des-Glénan, à la Chambre, où nous nous réveillons dans la brume. Même Fort Cigogne, à proximité, a disparu dans le coton ! A dix heures, le soleil a nettoyé l’horizon, nous dégageons et laissons la Pie à bâbord. C’est mardi, nous tirons de longs bords pour atteindre Audierne. Themis, sous grand voile et génois, trace bien sa route avec des pointes à 8 nœuds. Devant être jeudi à Brest pour accueillir le nouvel équipage, nous n’avons guère le temps d’explorer des mouillages inconnus. Mais nous prenons du plaisir à faire évoluer Themis au mieux de son potentiel.
Tout va bien pour le moment. Le seul hic réside dans la grand voile et son enrouleur de baume. Pour la hisser chaque matin, l’un d’entre nous doit se positionner en pied de mât et guider la GV dans le rail afin qu’elle n’en sorte pas inopportunément. Le comble du paradoxe : ce système mobilise plusieurs personnes alors que son but est de pouvoir naviguer en équipage réduit !!! Un propriétaire de Pilot Saloon m’a confié récemment avoir les mêmes problèmes avec son enrouleur de baume et qu’il cherchait à le revendre pour une poignée de 1 000 euros.
Arrêt moteur !
Nous mouillons mardi soir, sur coffre, dans l’anse de Sainte-Evette, avant-port de plaisance d’Audierne qui sert souvent de point de départ aux bateaux s’apprêtant à passer le raz de Sein au meilleur horaire de marée. Pour notre part, car le vent persiste au nord-ouest, nous avons choisi de partir le lendemain matin vers 11 heures de manière à nous retrouver devant la Vieille un peu avant l’étale de basse mer et éviter ainsi le clapot mer contre courant. Une heure et demie plus tard, nous sommes prêts à « tourner à droite » et à laisser le phare de la Vieille sur tribord. Patatras ! Oops ! le moteur s’arrête net. Je le redémarre sans problème, mais à chaque fois, il s’étouffe. Il n’y a pas de temps à tergiverser à cause des courants. Nous décidons de revenir au portant sur Sainte-Evette et de reprendre notre mouillage de la veille. Ce sera plus confortable pour aviser et faire appel à un mécanicien si nécessaire.
Après quelques vérifications en vain, j’appelle le capitaine du port de plaisance d’Audierne qui me conseille deux mécaniciens, dont Guy Burel, d’accord pour venir à bord dans l’après-midi. Il inspecte le circuit d’alimentation gazole. Son verdict est clair : « il y a à boire et à manger dans votre réservoir ». Du dépôt s’est accumulé au fil du temps au fond de la réserve en alu, et les bactéries ont proliféré. Propriétaire du bateau depuis à peine plus d’un an, je le découvre au fil des pannes et autres petits ennuis…
Notre mécanicien, propriétaire lui-même d’un bateau, a une vision d’ensemble. Il fait le nécessaire pour que nous puissions poursuivre notre programme d’été avec Themis : remplacement des filtres, purge du tuyau d’alimentation réserve/moteur – complètement bouché ! – à l’aide d’un compresseur, vidage et nettoyage de la réserve depuis la trappe de l’indicateur de niveau. Et il nous conseille de profiter de l’hivernage pour faire percer deux trappes de vidange (la réserve est divisée en deux compartiments) et pouvoir ainsi nettoyer à fond cette même réserve. Plus un conseil pour la route : à chaque plein, filtrer le gazole et ajouter du produit anti-bactéries. Tenons-nous le pour dit !
Bilan de la journée de mercredi : un Audierne/Audierne et un coût d’intervention mécanique d’un peu moins de 500 euros.
Le lendemain matin, le mécanicien revient avec son compresseur pour purger le tuyau d’alimentation réserve/moteur. Ça coule de source ! Notre bon vieux moteur diesel Volvo Penta 2003T (plus de 4 400 heures de fonctionnement) ronronne à nouveau. Bernard, qui doit prendre un train ce jeudi en milieu d’après-midi, nous quitte avec le mécanicien, via la navette mise gentiment à la disposition des plaisanciers dans l’anse de Sainte-Evette. Saluons l’équipe du port d’Audierne pour son sens de l’accueil !
Et c’est reparti une seconde fois pour le raz de Sein. Toujours du noroit, mais le soleil reste de la partie. Nous passons la Vieille par un temps de demoiselle. Arrivée au Moulin Blanc, à Brest, vers 18 heures. Nous nous amarrons sur le ponton visiteur juste devant l’Ocean Alchimist d’Olivier de Kersauzon. Geste fort sympathique, Bernard m’invite à déguster une moule-frites-bière au bar du Bout du Monde. A mon tour, j’y invite pour un pot tout l’équipage à sa descente du TGV en fin de soirée.
Brest/Camaret/Penzance : la bataille du rail
Bernard passe la nuit à bord. Avant de nous quitter, il me donne quelques explications pour remonter le chenal du Four et me suggère Camaret comme première étape. Cela sera bien suffisant pour amariner l’équipage arrivant. Nous nous arrêterons à Ouessant au retour…
Quelques bords dans la rade et nous arrivons à temps pour faire le grand ravitaillement au Super U de Camaret. Ce n’est pas encore le grand beau temps que nous pourrions souhaiter un jour de fin juillet. Mais le bonheur est d’être sur l’eau. Le lendemain matin, nous quittons le ponton vers 11 heures de manière à nous retrouver dans le chenal du Four un peu avant l’étale de basse mer et éviter le clapot mer contre courant (flot contre vent de noroît). C’est par un temps de jeune fille que nous passons le chenal puis remontons vers le nord au large d’Ouessant tout en savourant notre déjeuner sur le cockpit.
Comme le vent contraire ne nous permet pas un direct Scilly, nous optons pour un seul bord sur Penzance en Cornouaille. Une bonne petite houle d’environ un mètre ne nous rend pas la traversée confortable. Nos deux équipières verdissantes s’installent pour la nuit dans leur couchette. Nous traversons déjà le rail montant. Les cargos, pétroliers et autres bateaux de commerce que Dominique identifie, fort de son expérience de courtier maritime, tracent leur route vers le nord-est « en file indienne ». Pas trop de souci, les distances entre les navires sont suffisamment importantes pour nous faufiler entre les uns et les autres. Une heure ou deux plus tard, nous nous retrouvons dans le rail descendant. Alors là, c’est l’angoisse. Les bateaux immensément longs nous semblent arriver de toutes parts et prendre des caps incompréhensibles. Certes, je me dis rétrospectivement que la très bonne visibilité nocturne m’aurait permis de faire des relevés au compas pour évaluer leur route. Cela m’aurait sans doute évité d’allumer le moteur pour éviter un monstre géant se dirigeant sur nous, projecteur ultra-puissant braqué vers notre coque de 36 pieds.
Autre rencontre impressionnante mais plus pacifique, celle d’un navire de croisière de la Disney Cruise Line tout enguirlandé de lumières multicolores. Nous ayant lui aussi repéré dans son radar grâce au déflecteur cylindrique que j’avais installé sous la deuxième barre de flèche à Camaret, il vient parallèlement à nous et nous éclaire de son spot comme pour nous montrer à ses passagers… Mickey clôt ainsi joyeusement notre traversée du rail.
Dans la seconde partie de la nuit, le phare bienveillant du cap Lizard nous tire vers la côte cornouaille que nous découvrons en début de matinée. Un petit crachin grand-breton nous attend au pied du cap qui, avec Brest, détermine la ligne d’arrivée des records de traversée transatlantique. Deux bonnes heures au moteur nous serons alors nécessaires pour rejoindre Penzance tout au fond de sa baie. Penzance, ou plutôt son port de pêche de Newlyn, beaucoup plus hospitalier, qui accueille les plaisanciers sur un ponton financé par l’Union européenne. Un vrai port de pêche comme on n’en voit plus guère sur les côtes françaises, où toutes les coques se mélangent et où l’on peut encore acheter du poisson ou des crustacés au cul du bateau…
Saint Mary : après l’effort, la récompense !
Le lendemain matin nous gâte d’un magnifique soleil qui illumine le port de Newlyn, ses navires aux coques bleues ou rouges et ses maisons typiques blotties en arc de cercle autour de la rade. Et nous revoilà en mer à tirer des bords entre Land’End, le phare de Wolf Rock et l’archipel de Scilly. Avant d’arriver sur Saint Mary, nous assistons à une magnifique partie de pêche à laquelle s’adonnent des mouettes blanches dont nous avons du mal à identifier l’espèce.
Enfin, au couchant, nous pénétrons le Saint Mary Sound rougeoyant sous les derniers rayons du soleil. Le bonheur du rêve réalisé ! Oubliée la folle nuit de la traversée du rail…
Appel de la capitainerie à la VHF qui nous souhaite la bienvenue et nous propose de choisir nous-mêmes notre bouée d’amarrage (mooring buoy). A peine le bateau amarré, Caroline aperçoit la petite tête de deux phoques nageant près de la barre de rochers entourant le port de Saint Mary.
Après avoir gonflé l’annexe, nous nous acquitterons le lendemain matin des 17 livres pour une nuit au port. Ici, tout change : la monnaie, la bière… L’accueil est sympathique et pas seulement au fameux Mermaid Bar, chaudement recommandé par Bernard. On y trouve de la Guiness mais aussi de bonne bières locales et un savoureux fish and chips.
Osons une image. Les Scilly, c’est l’archipel de Glénan en trois fois plus grand. Ses cinq îles principales forment une sorte de lagon ourlé de belles plages au sable presque blanc. La grande différence réside dans leur végétation luxuriante : fleurs de toutes sortes, cactées, palmiers… L’île privée de Tresco, avec son célèbre Abbey Garden, symbolise cette atmosphère tropicale créée par le Gulf Stream baignant l’archipel. Mais ne nous emballons pas ! La température à l’air ne dépasse pas 24° et celle dans l’eau nous saisit à 17°. Pas plus que dans notre Bretagne continentale cet été…
Les Scilly font défiler les « 4 saisons » dans la journée : en moins d’une heure nous passons d’un franc soleil avec ciel et eau au bleu profond, à un temps franchement couvert, suivi d’un crachin aussi agréable qu’un brumisateur de jardin.
Une bonne météo (noroît 3 à 4) s’annonce. Après deux jours de balades (c’est court, il faudra revenir pour visiter les autres îles : Bryher, Saint Martin’s…), nous décidons de quitter cette chère Saint Mary en fin de journée pour arriver dans le rail d’Ouessant au petit matin. Histoire de bien contrôler le va-et-vient des bateaux de commerce !
Retour buissonnier vers le Morbihan
Au bout de 32 heures et près de 180 milles de navigation au grand largue, dont les derniers au moteur faute de vent, nous arrivons au port de Sainte-Evette. La seconde partie de cette traversée (passer la chaussée de Sein par le sud, aller tout au fond de la baie d’Audierne) nous a semblé interminable. Il est cinq heures et demi du matin quand nous prenons la lampe torche pour identifier une bouée d’amarrage disponible.
Pêche miraculeuse dans la baie d’Audierne, avant de passer la pointe de Penmarc’h : 12 maquereaux attrapés à la ligne de traîne en une heure !
Aventure, aventure… Maintenant, c’est tout farniente en direction d’Arzal. Les vents portent Thémis vers l’écurie, le soleil pointe son nez tous les jours en fin de matinée. Première escale au sud de la pointe de Bretagne : la Pie, devant l’isthme de sable entre Saint-Nicolas-des-Glénan et Bananec. Le site est toujours aussi enchanteur. A l’heure du petit-déjeuner, un baroudeur en zodiac vient nous proposer des croissants. Tout chauds en direct de Concarneau !
Le lendemain après-midi, escale devant la Ville close pour faire les pleins d’eau et compléter la réserve de gazole. Nous égrainons ensuite les étapes au fil de l’inspiration et de la météo. Port Manech où nous retrouvons des amis. La plage des Grands Sables devant la pointe de la Croix à Groix. Sauzon où nous embrassons nos cousins. Houat et son mouillage rouleur. Puis l’île Dumet pour une halte déjeuner avant de rejoindre l’écluse de 20 heures à Arzal.
Deux belles heures de navigation jusqu’au phare de Pen Lan. Nous remontons ensuite sans problème la Vilaine tout en savourant la campagne à la mer : les vaches broutant au bord de l’eau, les rouleaux de paille ponctuant les champs jaunis par un début de sécheresse…
Et zut, pof ! Themis ayant passé l’avant-dernière bouée avant l’écluse, je veux démarrer le moteur pour me mettre bout au vent et rouler les voiles. Pas de contact, le tableau de bord reste désespérément noir ! Il ne nous reste plus qu’à prendre une bouée (merci au Gin Fizz pour son aide !) et à analyser la situation… Finalement, en fin de soirée, je remets le moteur en route en faisant un contact direct sur le démarreur à l’aide d’un fil électrique muni d’une cosse. « C’est la méthode des voleurs de voitures ! », plaisante mon co-skipper Dominique.
Il ne nous reste plus alors qu’à passer la nuit, plantés dans la vase, dans l’attente de la première écluse du lendemain. Nous aurons seulement quelques heures pour ranger le bateau, boucler nos sacs, gagner la gare de Vannes avec notre petite Polo de service et attraper nos trains respectifs. Moralité : pas de bateau sans adrénaline, y compris jusqu’à la dernière minute !
Epilogue : suite à son intervention éclair sur Thémis, Joachim, du Chantier Naval de Vilaine à Arzal, m’explique que la panne électrique provient d’un fusible près du démarreur. Une révision complète du circuit électrique serait sans doute utile…
Gérard et Sylvie Bourgeois, heureux propriétaires de Thémis (Centurion 36, 1989), avec Caroline Chanson et Dominique de Saint Léger